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comment sont comptabilisées les heures de délégation

jeudi 28 avril 2011, par Gil

Exercer son mandat en dehors des heures de travail
Exercer son mandat en dehors des heures de travail
Quand les membres du CE se déplacent en dehors de leur temps de travail pour se rendre à une réunion convoquée par l’employeur, sont-ils payés ? Et s’ils prennent leurs heures de délégation en dehors de leurs horaires, doivent-ils aussi être rémunérés ? Réponses.

Cass. soc., 16 avr. 2008, n° 06-44.636 D / Cass. soc., 11 juin 2008, n° 07-40.823 P+B / Cass. soc., 25 juin 2008, n° 06-46.223 D

Ces 3 affaires méritent qu’on s’y attarde car elles sont une formidable occasion de faire le point sur la rémunération du temps que passe un membre du CE à l’exercice de son mandat pendant, mais aussi essentiellement, en dehors de ses horaires de travail. Ce problème se pose surtout pour tous les membres du CE qui travaillent de nuit et qui naturellement ne peuvent exercer leur mandat que le jour, et donc en dehors du temps de travail mais également pour tous les salariés à temps partiel.

Dans la 1re affaire, il s’agit d’un membre du CE qui travaille de nuit, et doit se rendre à plusieurs réunions du comité, toutes convoquées par l’employeur, en pleine journée (et donc en dehors de son temps de travail). Il saisit le juge car il veut qu’on lui rémunère le temps de trajet qu’il met pour s’y rendre, ce que lui refuse catégoriquement son employeur.

La 2e affaire concerne aussi un salarié qui travaille de nuit et est contraint, pour exercer ses mandats, de prendre ses 45 heures de délégation en journée, et donc en dehors de ses horaires de travail. Mais là son employeur a été plus loin en lui établissant un planning mensuel qui tienne compte de ces heures de délégation. Une atteinte à ses fonctions représentatives dont il saisit le juge pour, d’une part, qu’il mette fin à cette pratique et puisse être dédommagé, et, d’autre part, pour obtenir le paiement du temps qu’il passe aux réunions de CE convoquées par l’employeur en dehors de ses horaires de travail.

Dans la 3e affaire, enfin, c’est le même cas de figure que précédemment : un salarié qui travaille de nuit et qui est obligé de prendre ses 32 heures de délégation dans la journée. Ici son employeur a estimé que ce supplément de travail effectif ne permettait pas à l’intéressé de respecter les règles relatives au repos journalier et à la durée maximale du travail. Il a donc décidé de modifier unilatéralement ses horaires, en lui indiquant que ses heures de délégation seraient désormais comprises dans la durée normale de son travail. Le salarié a donc saisi le juge pour obtenir le paiement de ses heures de délégation qu’il a prises en dehors de son temps de travail en heures supplémentaires et des dommages et intérêts pour discrimination syndicale.

Faisons donc aujourd’hui le point en distinguant le régime applicable aux déplacements des membres du CE pour se rendre aux réunions convoquées par l’employeur et pour l’exercice de toutes les autres missions (par exemple pour aller à une réunion préparatoire, pour rencontrer un expert, etc.).

Réunion convoquée par l’employeur

Rappel : pendant le temps de travail
Quand l’employeur convoque les membres du CE à une réunion pendant leur temps de travail, dans ce cas, il n’y a pas de doute à avoir : le temps qu’ils mettent pour se déplacer à cette réunion doit être rémunéré sans pouvoir être imputé sur leur crédit d’heures (CE, 30 déc. 2003, n° 252545). Quant au temps qu’ils passent à cette réunion, idem : il est rémunéré sans pouvoir être imputé sur leur crédit d’heures s’ils en ont un (C. trav., art. L. 2325-8 / ancien art. L. 434-1).

En dehors des heures de travail…
Nous sommes dans notre 1re affaire confrontés à la question de savoir si un élu du CE qui travaille de nuit et se rend en réunion de comité convoquée par l’employeur, en pleine journée et donc en dehors de ses horaires, peut se faire rémunérer son temps de trajet et celui qu’il passe à la réunion.

D’abord, concernant le temps trajet, il ne peut lui être payé qu’à une condition que nous rappelle la Cour de cassation dans notre 1re affaire (Cass. soc., 30 sept. 1997, n° 95-40.125). Il faut pour cela qu’il dépasse, en durée, le temps normal du trajet qu’il effectue en général pour se rendre de son domicile à son lieu de travail. Et cette condition doit impérativement être vérifiée par le juge saisi de la question : il ne peut pas se contenter de dire que le salarié étant obligé d’interrompre son temps de repos pour se mettre à la disposition de l’employeur, ce temps de trajet constitue un travail effectif qu’il faut rémunérer. La Cour exige que ce trajet soit supérieur, en durée, au temps normal de déplacement domicile/lieu de travail.

Notre point de vue
Si un membre du CE ne remplit pas cette condition, il peut toujours être rémunéré en imputant ce temps de trajet sur son crédit d’heures…

Quant au temps passé à la réunion du CE, en dehors du temps de travail, la Cour de cassation nous rappelle dans la 2e affaire, à propos du salarié qui travaille exclusivement la nuit, et participe aux réunions du CE et du CHSCT pendant la journée, que « la participation du salarié ayant lieu en dehors de son temps de travail doit être rémunérée en sus ».

À noter
Quant aux frais de déplacement des membres du CE pour se rendre à ces réunions, ils sont toujours à la charge de l’employeur, que la réunion ait lieu pendant ou en dehors des heures de travail des membres du CE, et qu’elle ait été convoquée par l’employeur ou par le CE (Cass. soc., 22 mai 2002, n° 99-43.990).

Pour les autres missions que les réunions légales du CE

Pour tout ce qui concerne les missions autres que les réunions convoquées par l’employeur, les membres du CE élus et désignés, disposent d’un crédit d’heures qui doit servir justement à l’exercice de leur mandat (C. trav., art. L. 2325-8 / ancien art. L. 434-1). Par exemple : participation à une réunion préparatoire du CE, à une réunion avec l’expert sur les comptes à analyser, ou rendez-vous extérieur avec un prestataire dans le cadre d’une future vente, etc.

Dans ce cas, le temps de trajet nécessaire pour exercer cette mission et le temps qui y est consacré doivent être rémunérés par l’employeur au titre de leurs heures de délégation, quitte à ce que l’employeur conteste ensuite l’utilisation qui en a été faite. Il faut rappeler que les heures de délégation bénéficient d’une présomption de bonne utilisation ce qui veut dire que l’employeur est tenu de les rémunérer sans demander de justification mais qu’ensuite, rien ne l’empêche de contester l’utilisation qui en a été faite pour, le cas échéant, être remboursé si les élus n’ont pas respecté la finalité de leur crédit d’heures.

Et si ces rendez-vous doivent avoir lieu en dehors des horaires de travail ? Par exemple, si un membre du CE travaille de nuit et doit du coup faire ces déplacement en journée, en dehors de son temps de travail ? La Cour de cassation nous rappelle dans la 2e affaire que « les heures de délégation peuvent être utilisées librement en dehors du temps de travail en heures supplémentaires lorsque les nécessité des mandats du salarié le justifient sans faire obstacle au respect de la réglementation sur la durée maximale du travail et le repos journalier » et dans notre 3e affaire « le crédit d’heures d’un représentant du personnel peut être pris en dehors de l’horaire normal de travail et en sus du temps de travail effectif lorsque les nécessités du mandat le justifie. L’utilisation du crédit d’heures est présumée conforme à son objet ». Autrement dit les élus sont libres d’utiliser leurs heures de délégation en dehors de leur temps de travail et peuvent prétendre à une rémunération majorée à ce titre et ce n’est que si l’employeur conteste l’utilisation faite de ces heures (attention : il faut d’abord qu’il les paie) que les élus seront tenus de rapporter la preuve qu’ils devaient nécessairement exercer leur mandat en dehors de leur horaire normal de travail. S’ils ne rapportent pas cette preuve, alors ils devront rembourser l’employeur puisque le paiement de ces heures est injustifié. Et l’utilisation de ces heures en dehors des horaires de travail n’empêche pas le respect du repos journalier contrairement à ce que soutenait l’employeur dans la 3e affaire !

Conclusion : hors de question pour l’employeur de prévoir pour les membres du CE une durée du travail mensuelle moindre en imposant la prise des heures de délégation pendant le temps de travail (3e affaire) ou de leur faire des plannings de travail incluant les heures de délégation. Cela revient en effet à prendre une décision en considération de l’activité de représentation et plus largement syndicale de l’intéressé, comme l’a d’ailleurs jugé la Cour de cassation dans la 3e affaire : « la mesure lui a été imposée en considération des conditions d’exercice de son activité syndicale » et donc constitue une discrimination syndicale au sens de l’article L. 2141-5 du Code du travail (ancien art. L. 412-2) laquelle est illégale !

À noter
En revanche, si un membre du CE prend ses heures de délégation alors qu’il est en congé ou en RTT, il ne peut pas être payé en plus pour ces heures-là car il y aurait alors double rémunération. Il est cependant autorisé à récupérer son repos (Cass. soc., 19 oct. 1994, n° 91-41.097).

Marie-Charlotte Tual, rédactrice en chef adjointe,
en collaboration avec Pierre Bèfre, juriste en droit social

Les Cahiers Lamy du CE, N° 75, octobre 2008
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