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Modulation : l’accord collectif ne suffi t pas, l’acceptation de chaque salarié est requise

mercredi 24 novembre 2010, par Gil

Modulation : l’accord collectif ne suffi t pas, l’acceptation de chaque salarié est requise


Cass. soc., 28 sept. 2010, pourvoi n° 08-43.161, arrêt n° 1774 FS-P+B
Bien que négociée, la mise en place de la modulation modifi e le contrat de travail.
Elle suppose donc le consentement exprès du salarié. C’est ce qui résulte d’un arrêt
de la Cour de cassation qui, semble-t-il, s’applique à tous les aménagements du temps
de travail comportant des variations d’horaires en-deçà et au-delà de 35 heures,
les unes compensant les autres.
LA DÉCISION, SON ANALYSE ET SA PORTÉE
La Cour de cassation la soutient et en profite pour
prendre position sur une question de principe :
« Mais attendu que l’instauration d’une modulation du
temps de travail constitue une modifi cation du contrat de
travail qui requiert l’accord exprès du salarié […] ».
DPortée du principe
Cet attendu de principe appelle deux questions :
– la décision s’applique-t-elle aussi bien aux entreprises
qui ont mis en place la modulation par accord d’entreprise
qu’à celles qui ont utilisé un accord de branche ? ;
– doit-on la retenir également pour d’autres aménagements
du temps de travail, notamment ceux qui sont
issus de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ?
Il faut, nous semble-t-il, répondre aux deux questions par
l’affi rmative. La Cour de cassation n’émet, en effet, aucune
réserve. Rien ne permet de penser que la négociation d’un
accord d’entreprise exonère l’employeur de la nécessité de
rechercher le consentement individuel de chaque salarié
concerné. Certes, l’idée d’invoquer la modifi cation du
contrat de travail serait peut-être venue moins aisément
au salarié si la modulation avait fait l’objet de pourparlers
avec les syndicats et avait été soumise pour avis au comité
d’entreprise. L’accord d’entreprise étant moins lointain que
la convention de branche, il aurait moins eu l’impression
d’obéir à une décision unilatérale de l’employeur. Mais la
Haute Juridiction n’entre pas dans ce distinguo.
LES FAITS
Pendant des années, un ouvrier d’une petite exploitation
a fait des heures supplémentaires jusqu’à ce qu’une modulation
du temps de travail, établie en application directe
de la convention collective de branche étendue, vienne
l’en priver.
LES DEMANDES ET ARGUMENTATIONS
Relevant qu’il n’a jamais donné son accord exprès au
système de modulation, le salarié saisit le conseil de
prud’hommes, estimant que son contrat de travail a fait
l’objet d’une modifi cation unilatérale.
L’employeur ne manque pas d’arguments. Il ne s’agit,
souligne-t-il, que d’un aménagement des horaires de
travail et, en aucun cas, d’une réduction du temps
de travail. Le salarié objecte alors que son niveau de
rémunération en est affecté, puisqu’il ne fait plus ces
heures supplémentaires régulières qui arrondissaient
ses fi ns de mois.
Faire des heures supplémentaires n’est pas un droit, réplique
l’employeur, à l’exception des hypothèses où les parties ont
signé une convention de forfait, ce qui n’est pas le cas.
La Cour d’appel de Grenoble accueille néanmoins la
demande du salarié et déclare « que l’employeur était
tenu de rémunérer le salarié pour un horaire garanti de
169 heures (151,67 + 17,33 heures payées au taux majoré
de 25 %), et qu’il ne pouvait lui opposer l’accord de
modulation régulièrement appliqué dans l’entreprise ».
Cette deuxième thèse ne nous est d’aucun secours en
ce qui concerne la modulation et, d’ailleurs, la Cour de
cassation reconnaît clairement au salarié la capacité de
refuser le principe-même de la modulation.
En théorie, donc, en cas de refus massif et simultané
du système mis en place, les entreprises peuvent être
confrontées à la nécessité de mettre en place un plan
de sauvegarde de l’emploi.
DConséquences pratiques
Fort heureusement, ce sursaut massif et simultané des
salariés soumis depuis des années à un régime de modulation
est peu plausible. Ce qui l’est plus, c’est qu’à la faveur
d’une rupture du contrat de travail, les salariés demandent
individuellement devant les prud’hommes un rappel
d’heures supplémentaires sur les cinq dernières années.
ll est également fort probable qu’au vu de sa jurisprudence, la
Cour de cassation admette que le salarié puisse prendre acte
de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur.
Pour s’en prémunir, les employeurs feront bien de préparer
au plus vite des conventions individuelles par lesquelles
les salariés accepteront expressément le système d’aménagement
du temps de travail auquel ils sont soumis.
En cas de refus des intéressés, un licenciement ne sera,
selon nous, envisageable que si la mise en place de l’organisation
pluri-hebdomadaire du temps de travail était
justifi ée par des diffi cultés économiques ou par la sauvegarde
de la compétitivité de l’entreprise. À défaut, un tel
licenciement serait dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Dans le cas contraire, il nous semble possible de se
prévaloir du mécanisme légal, selon lequel le silence
gardé par le salarié pendant un mois vaut acceptation
de la proposition de modifi cation de son contrat. Encore
faudra-t-il lui en faire une par écrit.
Cela vaut pour les organisations en cours et les organisations
futures. 9
Marie Hautefort
Elle parle, en revanche, de modulation, mais simplement
parce que c’est un accord de modulation qui lui a été
soumis. On ne voit pas pourquoi, s’agissant d’un cycle
ou d’une organisation pluri-hebdomadaire du temps de
travail, il en irait autrement.
DDiffi cultés qu’il engendre
La solution retenue n’est clairement pas discutable,
mais ne va pas être simple à mettre en application.
Tout d’abord, elle a, bien évidemment, un effet rétroactif.
Toutes les entreprises qui sont actuellement
organisées avec un régime de modulation, un cycle, un
aménagement pluri-hebdomadaire sont concernées et
donc potentiellement menacées d’actions en rappels de
salaire de la part de leurs ouvriers.
Par ailleurs, elle pose exactement la même question que
celle qui avait agité les esprits à propos des forfaits-jours
en 2000. Après avoir précisé que la mise en place de
forfait-jours supposait la conclusion d’un accord collectif,
l’article L. 212-15-3, devenu l’article L. 3121-40,
du Code du travail énonce que « la conclusion d’une
convention individuelle de forfait requiert l’accord du
salarié. La convention est établie par écrit ».
On s’était alors demandé comment articuler le fait qu’une
organisation de travail est, par nature, collective, et
qu’elle l’est encore plus quand elle doit être mise en place
par accord collectif, et la nécessité de recueillir autant
de consentements individuels que de salariés concernés.
On avait alors évoqué deux interprétations, la maximaliste,
qui consistait à considérer que la loi instituait un
droit de refus du salarié et qui conduisait tout droit au
licenciement des récalcitrants puisqu’il était très diffi cile
de faire coexister deux systèmes de calcul de la durée du
travail pour une même catégorie, l’autre plus nuancée,
revenant à dire que le cadre ne pouvait refuser le principe
du forfait mais pouvait en discuter son application à son
cas personnel, entre autres, négocier sa charge de travail.

SOURCE : JURISPRUDENCE SOCIALE LAMY NOVEMBRE 2010